Analyses intergénérationnelles des mouvements migratoires au sein de la population canadienne-française du Québec

Marc Tremblay (Université du Québec à Chicoutimi)

L’objectif principal de cette étude est de mieux comprendre le rôle des migrations dans la formation et l’évolution de la population canadienne-française au Québec. Il s’agira d’effectuer une analyse des parcours migratoires des ancêtres de la population contemporaine, établie à partir de données généalogiques s’étendant sur plus de trois siècles. L’analyse de ces parcours migratoires permettra de mieux situer dans le temps les contributions respectives des différents territoires nord-américains aux origines ancestrales des descendants canadiens-français contemporains. Ainsi, à partir d’échantillons régionaux de généalogies ascendantes de Canadiens-français nés et/ou mariés au Québec au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, il s’agira d’étudier les mouvements migratoires intergénérationnels qui se sont produits depuis les débuts de la colonisation et qui expliquent la répartition géographique de la population canadienne-française contemporaine du Québec.

En plus des mouvements internes au Québec, cette analyse mettra en relief le rôle des ancêtres provenant d’autres régions canadiennes (p. ex.: l’Acadie, l’Ontario et l’Ouest canadien) ou états-uniennes, notamment les anciens territoires français ainsi que les États de la Nouvelle-Angleterre d’où sont revenus de nombreux émigrants canadiens-français dans le peuplement du Québec. En outre, l’identification d’immigrants internationaux présumés non francophones repérés dans les branches généalogiques permettra de jeter un regard sur l’intégration linguistique de ces immigrants (ou de leurs descendants) au sein de la population canadienne-française. On pense ici, par exemple, aux mercenaires d’origine allemande établis au Québec à la fin du XVIIIe siècle, à la suite de la guerre d’Indépendance américaine. Certains de ces immigrants ont épousé des canadiennes-françaises et leur descendance s’est par la suite rapidement intégrée à la population francophone. De nombreux descendants d’Irlandais arrivés principalement au cours du troisième quart du XIXe siècle ont aussi joint les rangs canadiens-français. Cette analyse des mouvements migratoires intergénérationnels s’effectuera donc à plusieurs échelles géographiques (régions du Québec, autres régions canadiennes, régions états-uniennes et autres pays), afin de bien faire ressortir l’apport des différents bassins démographiques au déploiement de la population canadienne-française du Québec.

Par ailleurs, une analyse ciblant plus particulièrement les lignées généalogiques paternelles, c’est-à-dire les branches masculines, remontant strictement par les pères, permettra de mieux comprendre comment se sont formés les divers bassins patronymiques francophones des régions du Québec. Ici encore, cette analyse fera ressortir, outre l’évolution intergénérationnelle des patronymes français issus des premiers ancêtres établis aux XVIIe et XVIIIe siècles, la transmission et les transformations qui ont caractérisé certains patronymes non français introduits par les immigrants originaires de pays non francophones.

La source principale des données pour cette étude est le fichier de population BALSAC, qui permet notamment de reconstruire les généalogies ascendantes de la population québécoise jusqu’au début du XVIIe siècle. Il s’agit là d’une profondeur temporelle exceptionnelle qui est rarement atteignable pour d’autres populations, du moins à cette échelle. Ces généalogies fournissent des informations détaillées à propos des origines, de la formation et de la structuration de la population québécoise à travers les siècles. Les lieux et dates de mariage des ancêtres identifiés dans les généalogies permettront de retracer les parcours migratoires intergénérationnels, par la comparaison des lieux de mariage des ancêtres avec ceux de leurs parents.

L’observation des lieux de mariage des ancêtres a déjà permis d’établir des mesures de l’ancienneté régionale et de la diversité des origines ancestrales individuelles, qui s’expriment en années ou en nombre de générations. Les résultats ont montré une variabilité importante dans les profondeurs et les origines régionales ancestrales. Les contributions régionales ont fait ressortir l’importance de la proximité géographique, mais aussi celle de l’ancienneté des zones de peuplement. Ces résultats ont fourni une première estimation de la migration interrégionale et de la migration intergénérationnelle résultante depuis le XVIIe siècle. L’analyse détaillée des lieux de mariage permettra d’aller plus loin en traçant les principaux chemins migratoires qui expliquent cette résultante. En plus des mesures qui seront effectuées pour caractériser et quantifier les chemins migratoires (identification et fréquence des principaux flux, intervalles intergénérationnels des mouvements), des représentations cartographiques seront utilisées pour illustrer les résultats.

Un corpus d’environ 10 000 généalogies ascendantes sera utilisé. Ces généalogies ont été constituées dans le cadre de projets antérieurs et sont disponibles pour l’analyse. Elles concernent des personnes qui se sont mariées au Québec entre 1966 et 1985 ou qui sont nées entre 1940 et 1970, et qui résidaient au Québec au moment de la collecte des données (2009-2010). Il s’agit donc, en somme, d’un échantillon représentatif de la population des baby-boomers québécois.