Élaboration du projet de recherche sur la population canadienne-française de Keweenaw. Cartographie et modélisation de la mobilité sociale et géographique

Don Lafreniere et Sarah Scarlett (Michigan Technological University)

Keweenaw Time Traveler

Comment les migrants et migrantes d’origine canadienne-française ont-ils vécu l’expérience de la colonisation lors de leurs déplacements à travers l’Amérique du Nord ? Il existe une littérature variée sur l’expérience canadienne-française dans diverses communautés américaines, y compris celles de la frontière de Détroit, de la Louisiane et de la vallée de la rivière Rouge. Cependant, à part les travaux de Jean Lamarre, rares sont les études qui ont abordé la colonisation canadienne-française dans le bassin supérieur des Grands Lacs et surtout l’évolution de cette population au cours des périodes industrielle et post-industrielle, c’est-à-dire de la fin du 19e siècle au milieu du 20e.

Sous la direction de Don Lafreniere et Sarah Scarlett, notre projet de recherche repose sur la cartographie et la modélisation de la mobilité sociale et géographique de la population canadienne-française entre 1860 et 1940, période durant laquelle la région a connu l’industrialisation puis la désindustrialisation.

Sur le plan géographique, le projet se concentre sur le Pays du cuivre, qui englobe la péninsule de Keweenaw, au Michigan. Cette région offre un exemple singulier, reconnu à l’échelle nationale, des effets durables sur les milieux socioculturel et environnemental de l’interaction étroite entre les êtres humains et la nature. Le Pays du cuivre est la plus ancienne région cuivrière — et l’une des plus grandes — des États-Unis, un fait reconnu par la création du Keweenaw National Historical Park en 1992. Au cours de la période 1860-1920, les emplois disponibles ont attiré différents groupes culturels dans la région, notamment des mineurs de Cornouailles, des ouvriers finlandais et des bûcherons canadiens-français. La plupart des mines ont fermé dans l’entre-deux-guerres, obligeant de nombreux individus d’origine canadienne-française à changer d’emploi, à retourner au Canada ou à s’installer dans les villes industrielles prospères du bassin inférieur des Grands Lacs, comme Chicago et Détroit.

Nous effectuons une étude de la composition de la population canadienne-française de la région. Combien de personnes sont arrivées au cours de chaque décennie ? Où ces personnes se sont-elles installées?  La population migrante était-elle composée uniquement d’hommes célibataires ? Comprenait-elle également des couples et des familles ? Le soutien de famille faisait-il venir les autres membres une fois qu’il avait trouvé un emploi ? Quel rôle les grands réseaux familiaux ont-ils joué dans le processus de migration ?

Surtout, nous nous penchons sur la question suivante : dans quelle mesure la mobilité sociale était-elle un aspect des migrations canadiennes-françaises entre le Bas-Canada et la partie supérieure de la péninsule du Michigan ?

Le projet aborde la mobilité à différentes échelles spatiales, temporelles et populationnelles. Il examine la mobilité de toutes les composantes de la population canadienne-française de la région, y compris celle des individus, des couples, des familles et des ménages. Nous essayons d’évaluer la présence, l’intensité et la direction de la mobilité sociale chez les individus, les couples, les familles et les ménages, telles qu’elles se manifestent dans les changements de profession, de salaire, de logement, de quartier, de conditions et de sécurité au travail.

Le projet documente également l’impact des processus d’assimilation sur la mobilité sociale des membres de la population canadienne-française. La collecte, la mise en relation et la cartographie de données sur les ménages canadiens-français offrent également une rare occasion d’explorer les aspects matériels de la vie quotidienne des migrants et migrantes à travers l’étude du paysage culturel et de l’architecture. Les logements, les bâtiments commerciaux, les églises et les écoles de la région n’ont pratiquement pas été modifiés, car les conditions économiques qui ont suivi le déclin de l’industrie minière n’ont pas permis la rénovation ou la modernisation à grande échelle.

L’étude de bâtiments construits et fréquentés par des membres de la population canadienne-française au 19e siècle et au début du 20e siècle permet de mieux comprendre le processus d’assimilation et son impact sur la mobilité sociale. La population canadienne-française du Keweenaw, surtout lors de son implantation initiale, s’est investie dans l’exploitation forestière. Les membres de cette première génération ont exploité les plus grandes scieries de la région, en plus de pratiquer la menuiserie. Nous sommes donc en mesure de comparer les techniques du bâtiment et l’utilisation des terres avec les traditions québécoises. L’architecture domestique permet également d’apprécier la mobilité sociale, par le biais de l’analyse de la taille, de l’âge et des équipements des maisons. À quel moment et dans quelle mesure la population migrante a-t-elle pu bénéficier de nouveaux systèmes de plomberie, d’électricité et d’élimination des déchets ? Les espaces de travail étaient-ils distincts des pièces consacrées aux loisirs ? Dans quelle mesure les maisons unifamiliale, équipées pour une vie dite moderne, assuraient-elles l’intimité de leurs résidentes et résidents ? Le projet s’appuie notamment sur les données détaillées disponibles dans la Copper Country Historical Spatial Data Infrastructure (CCHSDI), sur de riches fonds d’archives et sur les exemples architecturaux qui subsistent de cette période. Les micro-histoires proposées permettront de trianguler les données démographiques et spatiales, offrant ainsi de nouvelles perspectives sur l’histoire des  migrations transcontinentales.