Discours sur les origines et les migrations au Manitoba français au XIXe siècle : approche sociolinguistique

Sandrine Hallion et Yves Frenette (Université de Saint-Boniface)

Le projet porte sur des paroisses et communautés francophones fondées au Manitoba à la suite de la création de la province en 1870. Il vise à étudier les discours en circulation sur les origines, les migrations, les rapports interethniques et inter-linguistiques, l’emploi des langues et des variétés du français, à partir de l’analyse d’un vaste corpus de français parlé, le corpus Hallion-Bédard (2008-2010). Il s’appuie également sur l’exploitation d’une large base de données qui fait la somme des documents bibliographiques et archivistiques disponibles sur les localités où a été collecté le corpus Hallion-Bédard. Cette recherche s’effectue d’abord à l’échelle de l’individu et de la famille, ensuite de la localité, et enfin propose un portrait plus général qui se veut représentatif des communautés franco-manitobaines en milieu rural.

Le corpus Hallion-Bédard a été collecté entre 2008 et 2010 dans quatre régions rurales francophones du Manitoba : la région de la Montagne (localités de Notre-Dame-de Lourdes et de Saint-Claude), celle du sud de la rivière Rouge (localités de Saint-Jean-Baptiste, de Saint-Joseph et de Letellier), la localité de La Broquerie et la localité de Saint-Lazare à la frontière avec la Saskatchewan. Ces communautés ont été choisies en raison de la diversité de leur peuplement francophone, susceptible de révéler des discours variés sur les expériences migratoires vécues, transmises et imaginées, dans ses dimensions narratives, linguistiques et culturelles. À l’origine, toutes ces communautés comprenaient des éléments métis, canadiens-français et franco-européens, mais leur proportion variait.

Le corpus comprend plus de 80 heures d’entrevues enregistrées numériquement, intégralement transcrites, recueillies auprès d’un échantillon de 80 participant(e)s, autant de femmes que d’hommes, dont un tiers est né avant les années 1940. Les entrevues semi-dirigées ont été menées par une locutrice d’origine franco-manitobaine à partir d’une grille de questions portant sur différents aspects de la vie quotidienne présente et passée, tels que les origines et les parcours migratoires familiaux, les activités professionnelles et économiques, les rapports interethniques, les pratiques sociales, religieuses et familiales traditionnelles, ainsi que les identités, les représentations et les usages linguistiques.

Le Répertoire bibliographique et archivistique de cinq localités du Manitoba français consiste en une large base de données de près de 400 pages qui a été tout récemment compilée sous la supervision d’Yves Frenette. Ce répertoire recense l’ensemble des études et des sources disponibles sur les localités où a été collecté le corpus Hallion-Bédard.

Ce projet tentera de répondre à plusieurs questions de recherches :

  • Quelles traces les migrations ont-elles laissées chez les descendants de 3e ou 4e génération, qui forment l’essentiel des témoins du corpus ?
  • Quels sont, au moment de l’enquête de terrain, les discours qui circulaient sur les origines, sur les migrations, les rapports interethniques et interlinguistiques, l’emploi des langues et des variétés du français, « importées » et autochtones ?
  • Quel est le rôle des institutions, en particulier de l’Église et de l’école, dans la construction d’un discours idéologique sur la langue (conservation, purisme, identification de modèles, par exemple) ? Quel est le rôle de l’origine géographique et sociale dans la construction de ce discours ?
  • Pour les communautés dont la population d’origine est à dominance franco-européenne, comme Notre-Dame-de-Lourdes et Saint-Claude, quelle était la situation linguistique en France dans les régions d’origine au moment de la migration ?
  • Quelles sont les caractéristiques linguistiques des langues et variétés de français parlées dans les localités d’enquête qui peuvent se rattacher aux origines migratoires des témoins ? Sont-elles toujours d’un usage courant dans le réseau familial, la communauté ou constituent-elles des « vestiges » d’un état de langue plus ancien ?

Ce projet comprend la rédaction de monographies sur les localités à l’étude ainsi que la réalisation de pages WEB où seront présentés des extraits d’entrevue commentés et les résultats de la recherche, sous une forme accessible aux non-spécialistes. L’exploitation de documents d’archives permettra également de concevoir une diffusion de la recherche moins traditionnelle comme, par exemple, en ayant recours à la reconstitution en 3D de l’occupation des terres.