Correspondances en français de l’État de Washington

Sarah Hurlburt (Whitman College)

Le Francophone Northwest History Conference devait avoir lieu du 18 au 20 juin au Whitman College à Walla Walla, dans l’État de Washington aux États-Unis. Le colloque était ouvert à toute personne s’intéressant à l’histoire des peuples francophones et des tribus associées de l’Ouest. Cependant, en raison des restrictions liées à la pandémie de COVID-19, il a dû être reporté et sera probablement annulé. La revue Histoire sociale/Social History souhaiterait publier les actes du colloque, si celui-ci se tient à une date ultérieure.

Une exposition, montée dans le cadre des préparatifs du colloque et devant être présentée de mars à juin 2020 au Maxey Museum, est transformée en exposition virtuelle. Le Tamástslikt Cultural Institute et les Confederated Tribes of the Umatilla Indian Reservation (CTUIR) ont participé à la mise sur pied de l’exposition. Celle-ci présente également des éléments tirés des Northwest Archives et de différentes collections familiales, afin de raconter l’histoire des migrations francophones dans la vallée de Walla Walla.

La prochaine étape consiste à publier, en format numérique, près d’un millier de lettres rédigées par des immigrantes ou immigrants francophones et conservées aux Northwest Archives. Ces documents ne sont pas des fragments disparates. En fait, ils proviennent principalement de trois collections familiales : la collection Moxee (environ 160 lettres), qui raconte une migration secondaire de familles canadiennes-françaises du comté de Polk, au Minnesota, vers la vallée de Yakima, dans l’État de Washington, au cours des années 1890 ; la collection Bergevin (environ 170 lettres en français et des centaines en anglais), qui raconte les relations entre les membres d’une famille élargie canadienne-française, y compris des personnes restées au Québec ou s’étant établies un peu partout sur le versant occidental des Rocheuses, entre 1880 et 1920 ; la collection Berney-Rochat (plus de 300 lettres), qui raconte en détail l’expérience d’une population immigrante suisse protestante qui arrive dans la région de Walla Walla vers 1875.

La traduction et la publication numérique de ces lettres rendront accessible un contenu de valeur exceptionnelle pour des spécialistes dans plusieurs domaines. Il s’agira d’une source documentaire bilingue, disponible en ligne et susceptible d’inciter de nouvelles recherches sur la démographie, la migration, l’histoire sociale, l’ethnicité, l’identité, et qui touchent les domaines de l’anthropologie, de la communication, de la littérature et de la linguistique. Les pistes de recherche qui bénéficieront directement de cette publication comprennent l’américanisation culturelle et linguistique des immigrantes et immigrants de première et de deuxième génération ; le peuplement et la mobilité à l’époque du développement du chemin de fer ; les réseaux de parenté et de migration ; l’interaction entre le genre et la littératie au sein des populations immigrantes du 19e siècle ; l’articulation entre l’identité individuelle et collective.

La richesse de ces collections réside surtout dans la possibilité d’accéder aux « voix » des femmes, des enfants et des personnes peu alphabétisées — des voix généralement exclues du récit historique. Ainsi, les collections Moxee et Bergevin contiennent une grande diversité d’écrits datant du début du 20e siècle et rédigés par des personnes quasi analphabètes ou semi-alphabètes qui parlaient le français laurentien aux États-Unis. D’un point de vue à la fois géographique et générationnel, les lettres en question témoignent d’une phase importante de la transition entre langue maternelle et langue seconde au sein de cette population immigrante. Ainsi, la qualité de l’expression écrite des parents, frères et sœurs permet de déterminer leur âge, leur lieu de naissance et leur niveau d’éducation. Même si la collection Berney-Rochat comprend également un grand nombre de lettres rédigées par des femmes, ces documents témoignent d’une réalité fort différente, les correspondantes étant des protestantes instruites, des disciples de John Nelson Darby à la recherche d’un lieu pour pratiquer leur religion.