L’émigration des Acadiennes célibataires en Nouvelle-Angleterre (1906-1940)
Phyllis LeBlanc (Université de Moncton)
Quelles sont les expériences des Acadiennes émigrantes au tournant du XXe siècle ? S’il est vrai que les mouvements de population sont surtout un phénomène familial, au cours des trois premières décennies du XIXe siècle, un nombre important et croissant de femmes adultes, célibataires et autonomes font l’expérience de la mobilité régionale, aux Maritimes, et transnationale, vers les États-Unis, et ce, sans être accompagnées de leurs parents. L’expérience de la mobilité géographique de ces femmes célibataires autonomes reste largement inexplorée par les chercheurs.
Cette étude s’intéresse à l’expérience migratoire de ces femmes célibataires vers les États-Unis au cours des premières décennies du XXe siècle. L’objectif est de constituer une base de données quantitatives et qualitatives qui permet d’étudier les effectifs de ces femmes acadiennes, ainsi que leur expérience migratoire.
Depuis le milieu du XIXe siècle, l’émigration vers les États-Unis constitue un phénomène de première importance dans l’ensemble des Provinces maritimes. Les transformations économiques en cours dans la région figurent parmi les facteurs les plus couramment cités pour expliquer l’ampleur du phénomène d’émigration, surtout vers le nord-est américain. La transition d’une économie rurale à caractère familial vers un mode d’exploitation commercial et industriel à plus grande échelle, en cours pendant les premières décennies du XXe siècle, encourage la mobilité géographique, entre autres, vers les villes.
Les Acadiens forment le groupe culturel de notre étude. Minoritaires dans chacune des trois provinces maritimes, les Acadiens vivent, tout comme les anglophones, les transformations économiques en cours, ainsi que les défis et les opportunités que celles-ci produisent. Leur expérience de mobilité géographique n’est pas tout autant redevable aux réalités économiques de l’époque que chez les anglophones.
Dans les discours et les représentations politico-culturelles des chefs de fil acadiens, les célibataires acadiennes sont peu ciblées comme migrantes ou émigrantes potentielles. Les expériences de mobilité géographique des femmes sont présumées s’effectuer dans le contexte des migrations familiales. Les discours, les prises de position et les actions des chefs de fil visent donc le phénomène de migration familiale et non celle des femmes célibataires seules. Il en est de même pour ce qui est de la stratégie de colonisation rurale, vue comme une solution efficace à la mobilité géographique des familles acadiennes et surtout, à l’émigration de ces familles vers les États-Unis.
Ce projet propose donc une étude macro-historique portant sur l’identité et les caractéristiques des célibataires acadiennes autonomes qui ont émigré aux États-Unis par le biais d’un des dix postes frontaliers longeant le territoire du Nouveau-Brunswick. Il s’agira de comprendre les raisons de ces déplacements et les processus qui les permettent. La période à l’étude a comme point de départ 1906, au moment de la mise en place d’un nouveau régime frontalier aux États-Unis, jusqu’à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale.
En effet, à partir de 1906, les douaniers des postes frontaliers américains inscrivent sur des cartes manifestes une série d’informations très détaillées à propos de chaque individu demandant l’admission au pays. Les informations retenues incluent le nom de la personne, le lieu de sa naissance, son âge, son sexe, son statut civil, son occupation, sa capacité de lire et écrire, sa langue d’origine et sa race, sa nationalité, sa dernière résidence permanente, le nom d’une référence dans le milieu d’origine, les dates des voyages antérieurs aux États-Unis, le nom de la personne qui a payé le passage de l’émigrante, l’adresse ou la destination aux États-Unis, la somme d’argent en mains, la durée du séjour et, enfin, une courte description physique de l’individu. Les informations notées sur ces fiches nous permettent donc d’identifier les émigrantes acadiennes voyageant seules.
Cette source, riche en informations, permet de répondre aux questions suivantes : combien de d’Acadiennes célibataires partent vers les États-Unis sans être accompagnées par leur famille ? Quels sont les moments les plus propices de l’émigration de ces femmes (saisonniers, annuels, par décennie, etc.)? De quels milieux proviennent ces femmes (la province, le milieu urbain ou rural) ? Combien d’entre elles ont fait l’expérience de la migration dans les Provinces maritimes avant leur départ vers les États-Unis ? Quelles expériences de travail ces femmes ont-elles acquises avant leur départ vers les États-Unis ? Quelles raisons donnent-elles pour leur départ ? Quels sont les réseaux de parenté ou d’amitié dont bénéficient ces femmes aux États-Unis ?