Les missionnaires français dans l’Ouest canadien (1845-1940) : migrations, circulations et expériences
Simon Balloud (Université de Montréal)
Simon Balloud propose une étude exhaustive de l’ensemble des religieux·ses français·es appartenant à plus de vingt-cinq congrégations religieuses qui ont rejoint l’Ouest canadien – Manitoba, Saskatchewan, Alberta, Colombie-Britannique – entre 1845 et 1940. Au croisement de plusieurs champs historiographiques, ce projet propose l’étude de ce mouvement migratoire particulier, tant à l’échelle collective qu’individuelle, afin de comprendre à la fois la place qu’occupe l’Ouest canadien dans les migrations religieuses françaises vers l’Amérique du Nord et l’impact de celles-ci sur les territoires où elles se déploient. À cette fin, il propose trois principaux axes de recherche.
Mouvements et processus migratoires
Il s’agit de recenser les religieux·ses français·es, d’identifier les différents types de processus migratoires qui les conduisent à rejoindre l’Ouest canadien, leurs propriétés et les réseaux ecclésiastiques et/ou laïcs qui les conditionnent. Si nous connaissons relativement bien le rôle des prêtres colonisateurs dans la mise en place de chaînes migratoires entre plusieurs régions hexagonales (Bretagne, Vendée, Jura) et le Canada, qu’en est-il de l’influence des congréganistes sur leurs cercles familiaux, dans leur milieu de vie ? Un travail de comparaison entre les origines géographiques des religieux·ses français·es et des laïcs serait à même de déceler une éventuelle corrélation. Plus encore, il est question d’identifier les connexions atlantiques et nord-américaines qui en découlent. Les circulations missionnaires françaises engendrent des connexions continentales qui n’apparaissent que bien peu dans une historiographie encore largement cloisonnée par les récits nationaux. Les étudier permet de produire le récit d’une histoire nord-américaine où l’activité missionnaire est intrinsèquement liée au processus colonial.
Circulations
Les migrations de missionnaires sont des vecteurs majeurs de circulations culturelles matérielles (objets, livres) et immatérielles (savoirs, pratiques, représentations), notamment via les lettres et correspondances. Certaines d’entre elles ont lieu dans le cadre communautaire dans lequel les religieux.ses évoluent, qu’il s’agisse de pratiques d’évangélisation, d’objets liturgiques ou encore de méthodes d’enseignement et d’éducation. D’autres concernent les individus eux-mêmes et relèvent donc de la sphère privée. En tant que migrants, les religieux-ses entretiennent des liens épistolaires avec leur famille, mais aux lettres s’ajoutent également des objets et des livres dont l’usage dépasse parfois le cadre de leur récipiendaire. Dans les deux cas, des représentations du pays d’accueil circulent à travers les lettres et sont donc susceptibles de contribuer à de nouveaux départs, notamment dans le cadre communautaire. L’objectif consiste à mesurer toute la richesse de ces circulations et leurs diverses conséquences, tant pour les religieux·ses français·es que pour les populations qu’ils encadrent et côtoient.
Expériences migratoires
Il s’agit d’analyser la diversité des expériences résultant de la présence des missionnaires français-es dans l’Ouest canadien à partir de leurs rencontres et des contacts qu’ils établissent avec les différentes populations locales (autochtones, métisses, migrantes), notamment francophones, qu’ils s’agisse de Canadiens français ou de Franco-Européens. Il est question de saisir les effets de l’expérience de la frontière, du contexte colonial, sur l’identité de nouveaux venus empreints de représentations issues de leur formation religieuse et tributaires d’un bagage culturel exogène. Ne plus considérer uniquement les religieux·ses français·es à l’aune de leur vocation permet d’historiciser leurs vécus au regard à la multiplicité des conditions qui les caractérise (hommes/femmes, migrant·e·s, étrangers·ères et quelquefois exilé·e·s). En comparant ces écrits entre eux, il s’agira de répondre à la question suivante : existe-t-il une dimension genrée de l’expérience migratoire chez les missionnaires ? Longtemps effacés au profit de l’institution, de la communauté, les missionnaires commencent à être envisagés et étudiés comme des individus, sans mettre pour autant de côté la tension permanente qui règne dans les congrégations entre les « identités individuelles et les loyautés collectives ».