Migrations circulaires entre le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse et les États de la Nouvelle-Angleterre
Clint Bruce (Université Sainte-Anne), Carmen d’Entremont (Université de Saint-Boniface), Centre acadien (Université Sainte-Anne) et Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie
Ce terrain s’inscrit dans les travaux de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) de l’Université Sainte-Anne, dont le programme étudie l’évolution des liens transnationaux et translocaux entre les communautés de la diaspora acadienne. Entre le milieu du dix-neuvième siècle et le début de la Second Guerre mondiale, des milliers d’Acadiennes et d’Acadiens des provinces Maritimes ont émigré aux États-Unis, principalement en Nouvelle-Angleterre, parfois pour une durée déterminée, parfois sur une base permanente. Cependant, par rapport aux nombreux travaux sur l’immigration canadienne-française aux États-Unis, l’émigration acadienne aux dix-neuvième et vingtième siècles a reçu relativement peu d’attention. Notre enquête, qui s’intéresse tout particulièrement aux circulations culturelles transnationales, se concentre sur deux régions du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, à savoir Clare (ou la Baie Sainte-Marie) et Argyle (ou Par-en-Bas).
Quelle a été l’ampleur de l’émigration vers la Nouvelle-Angleterre ? Quels effets ces mouvements migratoires ont-ils eu sur les mentalités, la vie matérielle et le tissu social des communautés acadiennes du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse ? Quels réseaux familiaux, économiques et associatifs ont conditionné les expériences de migration ? Quelles expériences ont connues les gens qui ont vécu aux États-Unis et, parmi ceux-ci, qui sont revenus en Nouvelle-Écosse ? Quelles formes de vie communautaire se sont développées là-bas ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de répondre.
Même si l’enquête privilégie la période de l’entre-deux-guerres (1918-1940), nous nous intéressons aux courants migratoires dès le dix-neuvième siècle, notamment dans la mesure où ceux-ci ont créé des réseaux et des conditions propices aux migrations ultérieures, ainsi qu’aux souvenirs et contacts qui continuent de façonner la vie acadienne des régions ciblées.
Notre démarche combinera la macro-analyse et des approches micro-historiques. Un volet quantitatif exploitera le croisement de données tirées de plusieurs sources : recensements (américains et canadiens), registres paroissiaux, listes de passagers et journaux, dont Le Courrier de la Nouvelle-Écosse ainsi que la presse francophone de la Nouvelle-Angleterre. Un volet qualitatif concernera, dans un premier temps, des enquêtes orales auprès des membres de la communauté. En plus de recueillir des renseignements de nature historique, il s’agira de cerner le rôle de la mémoire de ces réalités dans la structuration de l’identité acadienne par-delà la période étudiée. Seront également exploités des récits écrits (publiés ou inédits), des correspondances échangées entre les deux régions ou encore des sources documentaires relatives aux échanges et contacts transnationaux au niveau de la société civile.
L’expérience des femmes célibataires fait l’objet d’une enquête menée par un comité de la Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie, en collaboration avec l’Association Madeleine-LeBlanc. Le but de cette recherche est de mettre au jour la diversité des expériences de ces femmes que la mémoire locale a surnommées « les tantes des États ». Alors qu’un certain nombre d’entre elles ont travaillé dans des usines ou comme domestiques auprès de familles américaines aisées, ce profil « typique » est loin de couvrir tous les parcours des Acadiennes du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.
Le volet assuré par Carmen d’Entremont, chercheuse postdoctorale, porte sur des questions d’identité. Son projet, qui vise à retracer les motifs et les impacts de ces migrations circulaires dans la région de Par-en-Bas, allie la recherche historique à l’enquête ethnologique. Après un dépouillement des récits de migration recueillis afin d’en extraire les informations factuelles, les anecdotes éparpillées à l’intérieur des témoignages seront répertoriées et analysées, permettant non seulement de reconstituer l’historique des expériences migratoires (l’histoire orale), mais aussi de saisir les points de vue, traditions, sentiments et valeurs de la culture étudiée (les traditions orales).
À noter que les initiatives de l’équipe réunie autour de la CRÉAcT seront développées en concertation avec les chercheurs et partenaires de l’Université de Moncton.
Parmi les retombées escomptées, ce projet vise à contribuer à l’offre du prochain Congrès mondial acadien, ce grand rassemblement du peuple acadien dont l’édition 2024 se tiendra dans les régions de Clare et d’Argyle. Conformément aux objectifs de TSMF en ce qui concerne le contexte contemporain, les résultats de la recherche pourront également nourrir des réflexions et des discussions sur l’immigration et sur la xénophobie qui n’a malheureusement pas disparu de nos jours.