Tricotés pas si serrés ? Migration internationale et métissage dans l’espace franco-canadien

Richard Marcoux (Université Laval)

Ce projet a pour objectif de documenter les éléments qui rendent compte de l’effet des importantes vagues migratoires internationales sur le phénomène de « métissage », phénomène qui a traversé la société canadienne-française ou franco-canadienne depuis la fin du XIXe siècle. Dans la foulée de différents débats sur des enjeux de sociétés (Commission Bouchard-Taylor, Charte des valeurs, etc.), certains groupes et intervenants dans l’espace public relancent l’idée d’une population canadienne-française supposément « pure » et qui se serait reproduite sans contact avec les immigrants. Les quelques travaux déjà menés et à venir pourraient révéler une réalité plus complexe.

Depuis le milieu du XIXe siècle, la Canada a en effet été traversé par des vagues migratoires majeures qui, dans les espaces francophones du pays et notamment au Québec, ont assurément modifié le tissu social.  Par exemple, on retrouve dans les cimetières de villages supposément très canadiens-français de la Beauce des pierres tombales en arabe, témoignages du passage et de l’installation des premiers migrants syriens à la fin du XIXe siècle. En parallèle, les mariages entre Canadiens français et Irlandais à Québec étaient également importants. Enfin, à la suite de la guerre de Sécession (1861-1865), le Canada a été la terre d’accueil de descendants d’esclaves. Quoiqu’en nombre très faible par rapport à l’Ontario et la Nouvelle-Écosse, ces descendants afro-américains ont laissé des traces de leur implantation, et ce jusqu’à Rimouski en 1881.

Mes travaux seront consacrés à ces dimensions, notamment à travers l’exploitation des données des recensements de 1881 à 1941.  En m’appuyant entre autres sur les données du recensement de 1891 – le premier à retenir des questions sur le lieu de naissance du père et de la mère de chacune des personnes recensées, des questions sur le pays de naissance des individus, sur l’origine ethnique, sur la langue et bien d’autres – il sera possible de mieux circonscrire les éléments qui peuvent laissée croire à une population francophone possiblement tricotée moins serrée qu’on ne le prétend ou que certains le souhaiteraient.

Ce projet s’articulera autour de trois thèmes principaux: Le métissage au Québec avant 1840 ; la présence de populations d’origine africaine au Québec et au Canada avant le début du XXe siècle ; les limites conceptuelles et théoriques liées aux sources de données que sont les recensements canadiens entre1840 et 1960.

Le terme Canadien-français (French Canadian), désigne les Canadiens d’origine française. Il peut paraître paradoxal de parler de métissage au sein même de ce groupe défini par une origine dite unique. Pourtant, plusieurs travaux montrent que l’on retrouve, au sein même de ce groupe, des individus provenant d’origines autres que françaises. Il s’agira donc de faire le point sur les travaux publiés concernant les origines variées des premières personnes qui se sont établies au Québec dès le début de la colonisation française et jusqu’au milieu du XIXe siècle. On souhaiterait, dans la même veine, examiner les origines des premiers colons venus de France et surtout de débusquer les « faux Français ».

Par ailleurs, de plus en plus de travaux s’intéressent à la présence noire au Québec. L’historien et chanteur Aly Ndiaye, alias Webster, est l’un des principaux animateurs d’un mouvement dit d’afro-descendants qui revendique un réexamen de l’histoire du Québec, de façon à mieux affirmer la présence noire depuis la Nouvelle-France. L’exposition Fugitifs de Webster à l’été 2019 au Musée national des beaux-arts du Québec illustre parfaitement les travaux fort intéressants de jeunes historiens et d’autres chercheurs sur ce sujet. Certains travaux à partir des données du recensement de 1881 conduisent plutôt à relever une question bien différente : comment se fait-il, au contraire que, suivant la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865) ayant donné lieu à l’arrivée de plus de 20 000 Africain-Américains au Canada, on en retrouve si peu (moins de 100) au Québec? 

Enfin, les recensements canadiens que nous proposons d’exploiter sur la thématique retenue (Tricotés pas si serrés ?) nous obligent à procéder en amont à un examen approfondi des limites théoriques de nos travaux à venir, limites liées aux concepts et définitions utilisés dans le cadre des recensements de 1881 à 1941 pour définir la race ou l’origine ethnique, ou encore le lieu de naissance de la personne et/ou de ses parents.  Nous procéderons donc à un examen attentif des guides et instructions données aux agents recenseurs et autres, mais aussi aux métadonnées entourant chacun des sept recensements qui seront exploités.